Lingua Quitae Republicae

Publié le par Nuage

Un mot du livre de Eric Hazan LQR. La propagande du quotidien, rencontre de hasard comme souvent. LQR pour Lingua Quitae Republicae, langue du capitalisme né dans les années 60, assénée, répétée et régurgitée à coup de journaux télévisés, discours politiques, analyses journalistiques… une langue à laquelle nous sommes habitués et qui manipule nos esprits:

 

"la LQR s'emploie à assurer l'apathie, à prêcher le multi-tout-ce-qu'on-voudra du moment que l'ordre libéral n'est pas menacé. C'est une arme postmoderne, bien adaptée aux conditions "démocratiques" où il ne s'agit plus de l'emporter dans la guerre civile mais d'escamoter le conflit, de le rendre invisible et inaudible." (p.14)

 

Voilà qui est dit. L'auteur parle d'un complot néolibéral qui trouve dans la LQR un formidable instrument de pouvoir de contrôle presque imperceptible. Forcément, "la LQR vise au consensus et non au scandale, à l'anesthésie et non au choc du cynisme provocateur." (p.27) Une de ses armes est l'euphémisme que l'auteur illustre d'un ton qui prêterait à rire si le sujet n'était pas aussi sérieux:

 

"Le grand mouvement euphémistique qui a fait disparaître au cours des trente dernières années les surveillants généraux des lycées, les grèves, les infirmes, les chômeurs –remplacés par des conseillers principaux d'éducation, des mouvements sociaux, des handicapés, des demandeurs d'emploi – a enfin permis la réalisation du vieux rêve de Louis-Napoléon Bonaparte, l'extinction du paupérisme. Il n'y a plus de pauvres mais des gens modestes, des conditions modestes, des familles modestes." (p.27)

 

D'ailleurs, il n'y a plus d'ouvriers:

 

"en renvoyant l'usine et les ouvriers dans le passé, on range du même coup les classes et leurs luttes dans un placard aux archaïsmes, on accrédite le mythe d'une immense classe moyenne solidaire et conviciale dont ceux qui se trouvent exclus ne peuvent être que des paresseux ou des clandestins." (p.38)

 

Pratique! De la même façon disparaissent les problèmes post-coloniaux. Les pays du tiers-monde sont "en voie de développement" et parfois même "émergents" si leurs ressources sont suffisamment intéressantes!

 

Heureuse méthode qui dit bien l'esprit du temps et le pouvoir des mots. Personne ne se préoccupe vraiment de cette guerre souterraine, la population des pays "démocratiques" bien délicatement installée dans la béate tiédeur des écrans et des distractions. Surtout pas de vague! L'ambition commune doit absolument se concentrer sur l'achat du prochain écran plus grand et plat ou plus petit et multi-fonctionnel selon qu'il sera utilisé dans le salon ou dans la poche.

 

D'ailleurs, en parlant d'écran de contrôle, mon esprit dévie vers la novlangue de George Orwell fabriquée pour empêcher toute expression d'idées subversives. Un exemple: le mot "mauvais" n'existe pas dans la novlangue. Il est remplacé par "inbon". La grammaire est simplifiée pour éviter toutes les exceptions: pas de douleur dans l'apprentissage, nivellement par le bas!

Ça vous rappelle quelque chose?

Ah! 1984! Un roman d'anticipation au vrai sens du terme! A relire pour découvrir avec effroi que nous sommes en plein dedans.

 

Le livre d'Eric Hazan essaye de réveiller le lecteur consentant de l'hypnose confortable du discours dominant. A faire circuler.

Références:

 

- La Lingua Quitae Republicae fait référence à la Lingua Tertii Imperii la langue de Goebbels décrite en 1947 par Viktor Klemperer:

 

"Quel fut le moyen de propagande le plus puissant de l'hitlérisme? Etaient-ce les discours isolés de Hitler et de Goebbels, leurs déclarations à tel ou tel sujet, leurs propos haineux sur le judaïsme, sur le bolchevisme? Non, incontestablement, car beaucoup de choses demeuraient incomprises par la masse ou l'ennuyaient, du fait de leur éternelle répétition.[...] Non, l'effet le plus puissant ne fut pas produit par des discours isolés, ni par des articles ou des tracts, ni par des affiches ou des drapeaux, il ne fut obtenu par rien de ce qu'on était forcé d'enregistrer par la pensée ou la perception. Le nazisme s'insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s'imposaient à des millions d'exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente."

 

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, p. 39-40, Pocket Agora , Albin Michel, 1996.

 

- Eric Hazan est co-fondateur des éditions La Fabrique.

 

Il a publié LQR. La propagande du quotidien aux éditions Raisons d'agir qui publie des ouvrages actuels et engagés. Par exemple: On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias de Marie Bénilde.

  

- Si vous avez envie de vous réveiller en musique vous pouvez aussi le faire en écoutant l'album de Balbino Medellin, Le soleil et l'ouvrier ou le dernier Lavilliers, Samedi soir à Beyrouth. C'est une voie poétique pour retrouver la rage!

 

 

 

 

 

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