Journal d'un Berger nomade

Publié le par Nuage

C'est sur le blog Planète sans visa que m'a pris l'envie de lire le livre de Pascal Wick, Journal d'un Berger nomade. C'est l'histoire de la transhumance d'un berger et de ses chiens Brook et Maïza depuis l'Andalousie jusqu'au Montana en passant par Paris et les Alpes. Le journal d'une année rend compte de l'intelligence et de la cohérence de Pascal Wick: ses choix de vivre dans la simplicité, sa réflexion sur la cohabitation entre le berger, le troupeau, les chiens  et les grands prédateurs, sa relative solitude dans les Rocheuses… C'est le livre d'un homme libre qui s'inscrit dans l'univers et non en dehors:


"Davantage que les différences, je vois les similarités qui existent entre moi et ce qui m'entoure. Il n'y a plus moi et les humains face au monde, il y a tout ce qui est, et j'en fais partie." (p.168)


C'est l'humilité, la simplicité et le respect qui s'imposent dans cette aventure humaine qui ne tient qu'à un fil. Il faudrait citer toutes les pages magnifiques sur les arbres et la forêt:


"A partir de demain, je serai dans un paysage où l'empreinte humaine est quasi inexistante, un environnement qui n'est pas "géré" par l'homme. Des forêts qui savent se passer des "gestionnaires forestiers", où il y a des arbres de tous les âges, des jeunes et des moins jeunes, des arbres dans la force de l'âge, et aussi de très vieux. Des forêts où les arbres meurent de leur belle mort, de vieillesse, des cadavres à tous les stades de décomposition, depuis ceux qui sont encore debout avec toutes leurs branches jusqu'à ceux qui se sont écroulés et ont été réduits à l'état de débris transportables par les fourmis. Des forêts qui ont brûlé pour laisser place à d'autres espèces qui ont besoin du feu pour se régénérer. Des troncs calcinés encore debout, durs comme le fer, témoins d'un incendie datant d'avant l'arrivée de l'homme blanc." (p.83-84)


Le journal parle aussi bien sûr du troupeau et du métier de berger avec ses contradictions et sa compréhension des écosystèmes:


"Je suis berger, et toute brebis tuée est colère, tristesse et échec. Je n'accepte pas que l'ours, le loup, le coyote, le lion des montagnes, l'aigle, le grand corbeau s'en prennent au troupeau. Je veux que ces prédateurs le respectent. A moi, le berger, de faire en sorte qu'ils n'attaquent pas les bêtes dont j'ai la garde. Je ne veux pas les tuer, les éliminer systématiquement. Je ne veux pas entrer dans la logique de l'escalade.

En pénétrant avec un troupeau de moutons dans une zone où ily a de grands prédateurs, pour qui tuer une brebis représente peu de risques et une faible dépense par rapport à l'énergie gagnée, je fais de la provocation. Même s'il est à 70% herbivore, il est autrement plus facile pour l'ours d'attraper une brebis qu'un mouflon. Dès lors, pourquoi se priverait-il d'une aussi bonne source de nourriture?" (p.129)


Le berger réfléchit aussi sur la vie et ce qui la définit:


""Faire du sport", à part pour les professionnels, cest se dépenser physiquement pour rééquilibrer un mode de vie sédentaire, c'est le loisir par opposition au travail, le physique par opposition au mental, l'expression d'une vie divisée, d'un dualisme qui réduit une vie en miettes, l'un dépendant de l'autre, l'un annulant le sens de l'autre, une vie où le passé et le futur prennent le pas sur le présent, une vie où l'on n'est finalement jamais à sa place. Je ne suis pas dans l'Absaroka-Beartooth Wilderness Area pour gagner ma vie. Ma vie, je n'ai pas à la gagner: je l'ai. A la rigueur, je peux la perdre mais j'ose espérer que si, demain, un de ces médecins futurologues devait m'annoncer que je vais mourir dans les semaines qui viennent, je resterais avec le troupeau, avec Brook et Maïza, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Je fais ce que je dois faire, ce qui est à faire et ce que je veux faire." (p.142-143)


Sur la mort:


"Mourir et que personne ne le sache. Mourir seul, le ciel dans les yeux, couché sur la terre. Mourir dans le vent, sous la pluie, mourir dehors, parmi les éléments, mourir et servir de nourriture au grand corbeau, au coyote, à l'aigle, à l'ours, au loup serait une fin honorable." (p.170)


Le berger décrit aussi magnifiquement ses rencontres avec les animaux sauvages, avec les pumas, les loups, les grands corbeaux, les coyotes et les ours. A l'occasion, il se permet de dire quelques vérités ignorées du grand public, comme certaines pratiques de biologistes carriéristes qui étudient les ours. Les clichés, ici comme ailleurs, sont ébranlés:


"Grâce à mes contacts avec l'université d'Etat du Montana et les trappeurs fédéraux, j'ai par la suite pu avoir accès à des documents non publiés qui relatent de façon précisetous les cas de piégeage d'ours bruns par les biologistes. C'est principalement la pose de colliers émetteurs pour leur suivi qui justifie ces piégeages. Or, en lisant ces documents attentivement, on aperçoit que, dans 20% des cas, les ours piégés sont blessés et rendus infirmes, ce qui hypothèque définitivement leurs chances de survie une fois relâchés. Parfois, ils meurent même avant d'être relâchés.

J'ai vu des ours pris dans un piège, c'est une expérience que je ne souhaite à personne, et certainement pas à mes amis ou à ceux à qui je veux du bien, peu importe leur espèce. Etre pris dans un piège est traumatisant. La technique de piégeage la plus communément utilisée est le collet, qui entraîne fréquemment des blessures aux pattes. Une fois piégé, l'ours doit être anesthésié à la carabine avant de pouvoir être persé, ce qui entraîne fréquemment un surdosage du produit anesthésiant employé et la mort de l'individu piégé. Enfin, au moment de son réveil, l'ours a tendance à se mettre en route avant d'avoir récupéré tous ses moyens, ce qui, en terrain accidenté, l'amène souvent à se blesser. Enfin, le besoin de se désaltérer après une anesthésie se faisant souvent sentir, il arrive que des ours se noient. Malgré tous ces risques, les biologistes continuent à piéger des ours "pour leur bien". Selon eux, en piégeant des ours et en les "équipant" de colliers émetteurs, ils peuvent mieux les étudier et savoir ce qu'il faut faire pour mieux les protéger.

En réalité, je me suis rendu compte que la motivation des biologistes à piéger des ours a plus affaire avec leur carrière et leur avancement professionnel qu'avec la protection des ours. Il y a un fossé entre les biologistes qui ont piégé des ours et ceux qui n 'en ont pas piégé." (p.88-89)


La manie qu'a l'homme moderne de contrôler les espèces vivantes, animales et végétales, prend ici des proportions absurdes et tristes.


Lire Pascal Wick, berger et docteur en économie, spécialiste reconnu des chiens de protection à l'usage des bergers, c'est se rendre compte de la richesse d'une vie "à la marge" (p.104) et des fatras et des fouillis de vies modernes sédentaires. C'est quelques heures de pur bonheur. Par son exemple, il ajoute une pierre à la fascinante existence de l'humanité nomade qui sait être encore au milieu des éléments et partir sur la pointe des pieds sans laisser trop de traces.

Références: Journal d'un berger nomade, Pascal Wick, Le Seuil, 2009.

Publié dans aventure humaine

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